mardi 1 février 2011

Palestine : Sans Commentaires


Maître Mahmoud Arqan

Hébron – Palestine

L'exécution du foetus dans les entrailles de sa mère.

Date: 22/10/2001. Le lieu : un poste de contrôle israélien dans le village de Walja - Bethléem – dans les territoires palestiniens occupés.

Les faits : Depuis trois jours la fermeture du village palestinien de Walja a été renforcée et ses habitants se sont vus interdire d'en sortir. Ils n'ont pas été autorisés à traverser la barrière militaire de l'armée israélienne...

Dans le village, les patrouilles israéliennes font le tour du village. Avec les haut-parleurs, ils annoncent : « Il est interdit de circuler. Personne ne peut sortir... ». Chaque jour qui passe voit la nourriture diminuer. Il en est de même pour les fournitures médicales. Mais l'évènement donnait la naissance de son fils tant espéré après sept ans de mariage.

Oui, messieurs, depuis sept ans elle attendait ce rêve, ce trésor. Son mari était atteint d'une maladie privant ce couple d'avoir des enfants pendant ces sept années passées. Heureusement, grâce aux traitements médicaux suivis par ma cliente, Fatima a réussi à tomber enceinte. Ce jour-là, elle est enceinte de sept mois.

Tôt dans la matinée, la mère ressent des douleurs et ne se rend pas compte, à ce moment-là, que ce sont les douleurs des contractions : ces contractions qu'elle attendait depuis si longtemps. Étant donné qu'elle se trouve dans un village encerclé elle a décidé d'aller dans un des hôpitaux de la ville - à Bethléem - qui se trouve à quelques kilomètres de son village. Son mari a réussi à trouver une voiture pour les transporter à l'hôpital, mais ils ont été surpris par la fermeture de la barrière, même dans un cas humanitaire. La réaction des soldats stationnés au poste de contrôle était : « Les ordres interdisent à quiconque de passer » !

Ma cliente s’assoit dans la voiture et ressent sans interruption de fortes douleurs. Chaque seconde qui passait lui paraissait durer des heures. Son mari revient pour la rassurer et retourne vers les soldats pour essayer à nouveau de les convaincre mais en vain. Il fit cela plusieurs fois et toujours le même résultat. Entendant sa femme hurler de douleur, il supplie les soldats de lui permettre de passer avec sa femme pour aller à l’hôpital. Il leur demande de s'approcher de la voiture et de voir de près l'état de sa femme qui souffrait beaucoup. Mais hélas, voici leur réponse : « Si tu ne t'en vas pas on tire ». Le mari abandonne et retourne à nouveau vers sa femme, désespéré. Cependant, il essaie de contourner la barrière pour sauver sa femme et son fils si longtemps attendu. Les deux époux ont marché à pied pendant vingt minutes sur un chemin fait de terre et de rochers. Malheureusement après tous les efforts déployés par Fatima l'un des soldats les aperçoit et leur ordonne par haut-parleur de revenir sur leurs pas et de s'approcher de lui. Puis avec l’arrière de son fusil il frappe la tête du mari en lui disant : « tu n'as pas compris, on ne t'a pas dit qu'il est interdit de passer ? » !

L’époux souffrant de douleurs se lève et recommence à supplier les soldats de les laisser passer, ou au moins de permettre à sa femme de passer toute seule ! Il leur a même proposé de l'arrêter et de permettre à sa femme d’aller à l'hôpital, l’état de cette dernière étant devenu difficile et son accouchement imminent à sept mois de grossesse. Les risques sont élevés pour la vie de la mère et de l’enfant, mais les soldats ont menacé une fois de plus d’utiliser leurs armes s'ils ne quittaient pas immédiatement le point de contrôle.

L'époux est allé chercher à nouveau la voiture. Il voit l'état de sa femme s’aggraver. Elle crie mais personne ne répond! Une heure et demie s’écoule, sans que cette mère ne reçoive les soins médicaux nécessaires et légitimes. Elle a commencé à saigner, le mari court vers les soldats et leur demande d'avoir pitié pour sa femme. « Ma femme saigne vraiment et le sang coule sur ses jambes. Ayez pitié ! Tuez-moi si vous voulez. Laissez seulement ma femme passer. Sauvez la vie de mon enfant », crie l'homme, le mari.

Le père éclate en sanglots. Et il tourne son regard vers sa femme dont les hurlements ne cessent pas. La tête du bébé est sortie hors du corps de sa mère à la barrière sans aucun soin médical dans une voiture normale, qui n'est pas du tout préparée pour une telle situation, et par ce froid ! Tout le monde supplie les soldats : « Ayez pitié de cette femme. Sauvez cet enfant ». Enfin, la conscience de l'un des soldats se réveille face à la situation de cette mère. Il se rend compte que l'interdiction de faire passer cette mère viole toutes les règles dictées par l'alphabet de l’humanité, que ces actes écrasent les règles et les lois internationales relatives aux Droits de l’Homme. Il se précipite et regarde la situation de la femme qui a perdu connaissance et qui appelle : « Mon enfant, mon fils. Je veux le voir. Je voudrais l’embrasser. La vie pour mon enfant ».

Finalement, on leur a permis de passer. Il ne reste plus de temps pour être secourus. Ma cliente a accouché de son bébé quelques minutes avant leur arrivée à l'hôpital. Oui, à l'intérieur de la voiture, dans cette atmosphère froide, mêlée à de chaleureux sentiments. Son enfant reçoit la vie en poussant son cri innocent mais l’enfant n’a plus assez de temps à vivre. La couleur de sa peau douce devient bleuâtre, ses faibles cris se taisent. Ses yeux commencent à s’opacifier. Sa température baisse. Ses doigts très fragiles se resserrent. Il rend son dernier soupir, doucement, dans les bras de son père en pleurs, tremblant de peur de perdre l’enfant dont il a rêvé durant tant d'années, après la longue souffrance de sa femme à cause des traitements et des médicaments.

Cette famille est arrivée à l'hôpital et la mère a reçu des soins médicaux et les médecins ont réussi à atténuer la peur du mari qui tremblait pour son fils. Mais les médecins n’ont pas eu le temps de sauver la vie du nourrisson. Oui, cette famille a perdu son enfant ; le rêve de sa vie ; le plus fondamental des droits. Et peut-être, cette famille a-t-elle perdu son droit d'avoir, à nouveau, des enfants, compte tenu de tout ce que la mère a subi depuis le début de la grossesse jusqu'à l’accouchement. Et ce, à cause de commandements militaires qui ne font pas d’exceptions dans des cas humanitaires. Ces ordres ôtent aux commandants et exécutants toute forme d'humanité et la supposée conscience qui existe chez les êtres humains.

Ainsi, le cas de ma cliente, rejoint-il celui de ses prédécesseurs. Les territoires palestiniens occupés témoignent de cas similaires : parfois la mère meurt et parfois l'enfant meurt également. Parfois les deux perdent leur droit à la vie.

Des dizaines de familles palestiniennes ont vécu ce qu’a vécu ma cliente.

Mesdames, messieurs, Je sais que les peines les plus sévères dans le monde n'indemniseront pas la perte subie par ma cliente. Je suis sûr que le plus grand montant d’indemnité que ma cliente pourrait recevoir ne guérira jamais sa plaie.

Mais puisqu'elle a le droit de recourir à la justice et que j'ai la conviction des lois et de l'équité, je réclame pour elle, et pour toutes les autres femmes dans le monde entier, tous les droits les plus fondamentaux garantis par le droit international des Droits de l’Homme.

Dans toutes les conventions basées sur le droit international humanitaire, les femmes et les enfants sont classés parmi les civils qui doivent être protégés durant les conflits, les guerres et l'occupation. Ils ont droit à une protection spéciale, conforme aux sentiments humains et à la conscience humaine, qui n'accepte pas la violation de ces droits. Je ne peux citer tous les articles et les lois qui ont été violés dans le cas de ma cliente mais je vais vous rappeler les plus importants.

Premièrement : Les restrictions imposées à la liberté de mouvement de la population palestinienne dans les territoires occupés, y compris ma cliente, constitue une violation flagrante des dispositions de l'article 13 de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme et de l'article 12 de la Convention internationale des droits civils et politiques, laquelle a été signée par Israël, et est devenue d’usage international.

Deuxièmement : L'enfant de ma cliente a été privé du droit à la vie, de la liberté, et de la sécurité. C’est une violation claire de l'article 3 de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme.

Troisièmement : Le droit à la vie est inhérent à chaque être humain et la loi doit protéger ce droit. Nul ne peut être privé de sa vie de manière arbitraire, selon les dispositions de l'article VI du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Cet article n'a pas été respecté pour assurer la survie du bébé de ma cliente.

Quatrièmement : Les faits décrits dans l’affaire de ma cliente ont clairement violé l'article VI de la Convention relative aux droits de l'enfant. Cet article dispose que l'enfant a droit à la vie et que tous les États doivent assurer la survie de l'enfant et de sa croissance.

Cinquièmement : Les soldats stationnés à la barrière militaire Walja, le lieu du crime, ont ignoré la Convention contre toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (CEDAW) alors que leur État l'avait ratifiée en novembre 1991.

Je me contente des éléments susmentionnés. Nos consciences perçoivent que les faits de cette affaire ont pour but de détruire tous les pactes, conventions, déclarations et conférences pour le respect des Droits de l’Homme en général, des femmes et des enfants en particulier et qui ont donc trait à la conscience des peuples.

Mesdames, Messieurs les Hauts Magistrats, mes chers confrères,

Partant de la reconnaissance universelle de tous les membres de la famille humaine, d’une dignité inhérente, et de droits égaux et inaliénables qui constituent le fondement de la liberté, de la justice, et de la paix dans le monde. Considérant que la méconnaissance des Droits de l’Homme et que le mépris ont conduit à des actes de barbarie qui ont révolté la conscience humaine, je vous abandonne l'affaire de ma cliente, qui est un exemple de la souffrance, des traitements infligés aux civils du peuple palestinien et autres peuples du monde sur les postes de contrôle militaires qui sont impitoyables envers les femmes ou les enfants.

Je vous demande d’être fidèles à ce que dictent vos consciences en rendant votre jugement équitable contre les auteurs de ce crime contre l’humanité. Ce crime a privé un enfant de la vie. Il n’a pas pu s'épanouir dans les bras de sa mère et de son père. Ce crime leur dénie le droit d'avoir des enfants, de vivre dans la dignité et la liberté comme prévu dans les conventions et traités internationaux, et comme l’exige la conscience de toute personne appartenant à la communauté humaine.

Maitre Mahmoud Arqan, palestinien de 24 ans et laureat du 22e concours de plaidoiries pour les droits de l’homme


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